Le Protectorat

Après la disparition du général Fabius et la déroute de ses hommes, Calliope avait retrouvé un semblant de paix. Abraham avait définitivement assis son autorité, et le peu de protestations que l’on entendait encore était maté avec une violence sans commune mesure. Calliope était en paix, ce genre de paix qu’il fallait partager avec les dieux sombres, et où le silence était une torture chuchotée.

Dire ainsi que la voix de l’empereur-dieu ne portait plus était un euphémisme bien senti, et cette parcelle de la galaxie était désormais ouverte à tout. Une aubaine pour les marchands, les pillards, pour les pirates ou les explorateurs, car Calliope regorgeait aussi et surtout de grandes richesses. Or là où l’Imperium était affaibli, la loi et la morale l’étaient aussi. Le parfum du “tout est permis“ gagnait alors les vaisseaux, les poubelles volantes et toute sorte de caisson qui pouvait bien servir aux entreprises des rogue trader. L’une d’entre elle, justement, dans le brasier qui avait accompagné la défaite de Fabius, s’était déjà davantage distinguée.

L’amiral Novalis était à la tête du Protectorat, une société marchande que l’on disait proche d’Abraham. Personne n’en avait la preuve, évidemment, mais on racontait que Novalis avait ses entrées du côté de Mecatol Rex, là où la politique, dans le système Calliope, décidait de tout ou presque. Certes, un simple marchand – et même un marchand tel que lui ! aussi riche que Novalis ! – n’avait jamais été le proche conseiller d’un général de guerre, mais il existait toujours des accords qui faisaient le bonheur des uns, ou au contraire le malheur des autres. Il ne manquait jamais de mondes dans Calliope pour faire pencher la balance et éloigner encore un peu plus l’influence impériale, ni de mondes ni de marchands intéressés. Même si les rumeurs autour du Protectorat étaient peut-être aussi épaisses que la jalousie des autres entrepreneurs, Novalis n’était pas un enfant de cœur, et la religion ne faisait pas partie de son vocabulaire.

Au sein de ce milieu à la fois étroit et gigantesque – étroit comme Calliope sous l’autorité d’Abraham, et gigantesque comme la possibilité de son commerce –, un second rogue trader s’était également démarqué. Tarek, un archimilitant, avait à de nombreuses reprises soutenu des politiques contraires aux intérêts du Protectorat. Certaines revendications étaient devenues révoltes, certains rebelles soudainement de fervents défenseurs de l’empereur-dieu. Dans cette guerre commerciale indirecte – dans laquelle chacun tentait en réalité de tirer simplement profit de cette tyrannie instaurée par Abraham –, Tarek ne se contentait plus de financer les oppositions politiques d’hier, mais entendait ouvrir de véritables brèches dans cette Calliope bien trop timorée.

Et si les guerres de demain ne dépendaient plus de ces grands généraux, mais plutôt de ces acteurs de l’ombre, de ces rogue trader. La paix dans Calliope n’avait jamais été que la certitude d’un renouveau, d’un retour, et la seule question qui subsistait alors était la forme de ce retour, la prochaine guerre totale.